Anacharlie #7

[NOTE : Ce texte fait partie d’une oeuvre de fiction sur les attentats du 7 janvier 2015 dans les locaux de Charlie Hebdo. Cliquez ici pour retrouver l’histoire complète dans l’ordre !]

Ce mouvement de liesse populaire avait au moins eu l’avantage de permettre aux gens de sortir de chez eux et de discuter. Pour Daniel, c’était plus de relations sociales qu’il n’en avait eu sur ces trois dernières semaines. Si beaucoup s’enthousiasmaient des nouvelles mesures, n’aspirant qu’à un peu d’ordre et de calme (une chose somme toute légitime), d’autres partageaient néanmoins ses craintes. Il avait était rassuré de constater qu’il n’était pas le seul à s’inquiéter de cet état policier, et de son pouvoir désormais presque sans limite théorique. A la fin de la journée, Daniel s’était fait quelques amis, et une marche s’était organisée pour le lendemain. Peu d’entre eux y croyaient, mais ils étaient en revanche nombreux à penser que ça serait peut-être la dernière fois qu’ils pourraient exprimer leur mécontentement et défiler pour leur liberté.

Cette nouvelle journée commençait plutôt bien, le soleil étant à nouveau au rendez-vous. Davantage de monde trouverait la motivation pour venir parader sur les Champs-Élysées, et c’était un plus non négligeable. D’aucun voyaient déjà cette marche comme étant historique, un pile ou face démocratique aux enjeux encore inconnus. C’est la boule au ventre que Daniel sortit du hall de son appartement, encore secoué des affrontements dont il avait été témoin, mais rassuré de voir qu’il ne sortait pas seul. Accompagné de quelques voisins, il rejoignit rapidement la foule au point de rendez-vous.

La taille de la foule lui mit du baume au cœur. Il ne se serait jamais attendu à voir autant de personnes rassemblées au même endroit, manifester pour la liberté, en connaissant les difficultés à se déplacer et les risques que cela comportait. Difficile à dire de là où il était, mais ils étaient plusieurs milliers, c’était certain. Le cortège se mit lentement en marche, et si l’on était loin des manifestations d’antan de la CGT de par l’absence de mégaphone, on était un cran au-dessus des marches silencieuses de soutien à Charlie Hebdo en terme de bruit et de nombre de panneaux. De plus en plus lent, le mouvement de foule finit par totalement s’interrompre.

« -Ils essaient vraiment de nous la mettre profond hein, pas vrai ? »

A l’évidence, c’était bien à lui que cet homme s’adressait.

« – Pardonnez-moi ?

– Avec toutes leurs lois là. Vous le sentez le climat de délation ? Pis les pleins pouvoir pour l’armée et le président,  la police qui peut encore plus se permettre ce qu’elle veut… J’vous l’dis moi, ça pue du fondement !

– Oui, comme vous dites.

– Surtout que ça va juste radicaliser encore plus tous ces cons hein, moi j’en ai vu qu’essayaient de remettre de l’ordre et fonder une nouvelle société, ben laissez moi vous dire que si on leur déclare la guerre, ils vont être un peu plus nerveux de la gâchette.

– Oui, c’est certain ».

Se détachant de son interlocuteur au bagout certain mais à l’haleine discutable, Daniel monta sur un rebord pour avoir une vue d’ensemble sur la manifestation, et comprendre ce ralentissement de la marche. Puis il eut ce légèrement picotement derrière la nuque, le même qu’au Super U. Était-ce dû à l’importante présence policière, chaque homme étant lourdement équipé ? Peut-être cela venait-il de cet autre cortège venant d’une rue perpendiculaire, aux slogans légèrement moins pacifistes et ouvertement racistes ? Difficile à dire. Ce qui était certain, c’est que le tout montait sous pression, et que personne n’avait la moindre idée de la forme que prendrait la soupape de sécurité. Le brouhaha ne faisait que gagner en intensité, et monta encore d’un cran lorsqu’un troisième cortège fit son apparition. Et au moment où chacun pensait approcher le point de non-retour, et que l’air ne pouvait être davantage saturé de cris et de testostérone, les huées laissèrent l’espace d’un instant place au silence. Tous suivaient la trajectoire de ce cocktail Molotov des yeux, retenant leur souffle. Lao-Tseu disait que « la plus grande révélation est le silence ». Et chacun compris ce que signifiait la fin de ce silence. Dans un bruit de verre brisé, le silence se retira de ce monde, paré de ces atours dorés que revêtaient également les flammes. Au bruit du verre qui se brise succéda un coup de feu. Et la folie des hommes reprit ses droits.

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